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Le bonheur est dans la vigne

Edition N°31 – 28 août 2024

Vigneron-encaveur à Moutier, Aurèle Morf n’est jamais amorphe ! Même en ces temps pandémiques troublés, il reste positif et créatif. Ses vins naturels blancs, rouges, rosés ou mousseux se dégustent loin à la ronde avec un sentiment de délectation qui en dit long sur la qualité de ses crus reconnus. Rencontre avec un épicurien bon teint qui n’hésite jamais à joindre l’utile à l’agréable au moment d’assouvir sa passion dévorante. (photo Olivier Odiet)

En ces temps pandémiques troublés, peut-être qu’un petit verre de vin peut, non pas guérir, mais aider à passer ce cap de confinement imposé par des autorités qui veulent notre bien. Notre vigneron local, Aurèle Morf, a toute latitude pour procurer ce plaisir avec sa production obtenue à partir de raisins cultivés selon les normes de l’agriculture biologique et biodynamique, avec des vins aux consonances latines qui chantent et invitent à l’exotisme.

Nombre de poètes ont célébré le vin au travers des siècles. A Moutier, nous avons Aurèle Morf pour nous le rappeler et le magnifier. Pour Georges Brassens, le meilleur vin n’est pas nécessairement le plus cher, mais celui qu’on partage. Il y a certains adeptes qui préconisent qu’un verre par jour peut être bon pour le cœur (il pourrait avoir des effets bénéfiques pour le système cardiovasculaire) et d’autres partisans, plus optimistes, qui prétendent qu’un verre, c’est bon pour la santé, et le reste de la bouteille, bon pour le moral! Nous resterons neutre sur les théories de la modération…

Vin naturel

Enfant de Moutier où il a fait ses classes, Aurèle Morf enchaîne avec le gymnase. Il est marqué par Rabelais et Baudelaire, amateurs de grands crus et leurs côtés rassembleurs. Il découvre ensuite, lors d’un séjour dans le sud-ouest de la France, dans le Madiran, les travaux liés à la viticulture. Dès 2005, de retour dans sa Prévôté, il décide, après plusieurs stages de formation chez divers vignerons de produire son propre vin. Mais pas n’importe comment. Cet épicurien fait un choix philosophique et veut de la vigne cultivée selon les normes d’agriculture biologique et biodynamique, un vin exempt de toute substance issue de la chimie de synthèse, et ceci dans l’ensemble de ses phases de fabrication. Il veut une vinification qui reste la plus naturelle possible, des vins réalisés avec des levures indigènes, ni filtrés, ni collés et sans sulfites. Ses crus ont déjà conquis nombre d’hédonistes et se retrouvent sur de grandes tables du pays. Et quand il en parle, Aurèle nous convainc, et pas en vain, que son vin est divin! 

Le vignoble prévôtois

Aurèle Morf crée la cave St-Germain avec ce projet un peu fou de cultiver de la vigne et de produire son vin sur les anciennes terres de l’Abbaye de Moutier-Grandval, avec ses plants autour de la collégiale sur 6000 m2. En dessous, la parcelle se nomme Clos St-Germain, en dessus, Clos des Deux Saints avec en plus quelques autres endroits disséminés dans la cité, ce qui représente près de 3200 pieds de vigne. Mais cela ne suffit pas pour les quelques 10’000 bouteilles produites aujourd’hui. Au début, il récoltait du raisin dans divers endroits de Suisse, notamment en Valais et au Tessin, échangeant sa collaboration aux travaux de la vigne contre du raisin. Actuellement, c’est uniquement à Bevaix, avec Philippe Borioli qu’il collabore. Il produit des crus aux noms charmants, Spigolo, Lacrime di luna, Fuoco, Strizzi, Tanza rossa, Cascata etc., des vins naturels blancs, rouges, rosés ou mousseux, issus de recherche menées en vue d’obtenir des variétés résistantes aux maladies. A la suite d’une collaboration avec Valentin Blattner, le vigneron de Soyhières, est né le cépage cabernet jura, clone résistant aux maladies cryptogamiques de la vigne dont les vins portent le nom des domaines de ses vignes prévôtoises, Clos de Deux Saints et Clos St-Germain. Ils ont une belle notion de terroir et une spécificité propre à chaque millésime.

Autour de St-Germain est une association qui a vu le jour grâce aux vignes de notre vigneron-encaveur qui a pour but de réunir la population autour de la culture et du vin et mener à bien des projets événementiels à vocation conviviale, dans le cadre de la Cave Saint-Germain. Quelques belles réussites sont à son actif dans les domaines musicaux, théâtraux, autres formes d’expressions ou la fête des vendanges.

Changements prochains

On se souvient que l’année passée a été assez atypique, avec une fameuse gelée le 15 mai, ce qui a réduit la récolte de près de 70% par rapport l’année précédente qui n’était déjà pas terrible. «Mais ce fut tout de même une fameuse cuvée, riche en degré Oechsle grâce aux grandes chaleurs d’un été caniculaire, ce qui a donné un équilibre parfait», précise-t-il.

Aurèle a innové avec une méthode particulière en mettant les grappes entières dans la cuve en laissant aller une macération intrapelliculaire et en les pressant quarante jours après. Selon lui, on ne peut pas faire plus fin et plus expressif ce qui donne un vin sans amertume, rond et fruité. Résultats à découvrir dès cet été, avec une nouvelle gamme et de nouvelles appellations. 

Il préconise aussi une première vendange fin septembre où il récolte près de la moitié des grappes qui n’ont pas les degrés Oechsle extrêmes pour en faire un vin mousseux avec une belle acidité, puis encore la moitié restante un peu plus tard qui donnera un rouge léger. Les raisins restants pourront alors mûrir plus vite et auront une qualité exceptionnelle pour les dernières vendanges. 

Satané Covid

Pour démarrer son entreprise, Aurèle Morf avait fait appel à des parrainages et au financement participatif qui voyaient les adhérents avoir droit à leur bouteille de vin annuellement, situation actuellement arrivée à terme. La vigne est maintenant bien enracinée dans son terroir. Les deux clos ne seront plus séparés. Aurèle Morf a trouvé son train-train et pris de la bouteille! Mais voilà que cette foutue situation sanitaire vient tout gâcher, non pas au niveau de la production, mais de la commercialisation, ce qui lui a fait perdre près de 60% des revenus. Il ne pratique pas la vente en ligne et n’a pas envie que ses crus finissent en alcool pour se désinfecter les mains! Il est adepte de la vente directe et conviviale au travers de la restauration, de marchés, foires, apéros, manifestations ou balades gourmandes, etc., qui sont tous à l’arrêt. Ne reste que la clientèle privée et les magasins ce qui va l’amener vers une situation tampon, une année blanche, précise-t-il. Il y trop de vin sur le marché et la récolte qui s’annonce est prometteuse, à l’instar des deux dernières. Il faudra trouver des débouchés. Quant à la traditionnelle fête des vendanges prévôtoise, la décision n’est pas encore prise. Mais si elle a lieu, elle sera certainement différente des éditions précédentes. En attendant, vous connaissez le geste qui sauve les vignerons?

Claude Gigandet

Vigneron-encaveur à Moutier, Aurèle Morf n’est jamais amorphe ! Même en ces temps pandémiques troublés, il reste positif et créatif. Ses vins naturels blancs, rouges, rosés ou mousseux se dégustent loin à la ronde avec un sentiment de délectation qui en dit long sur la qualité de ses crus reconnus. Rencontre avec un épicurien bon teint qui n’hésite jamais à joindre l’utile à l’agréable au moment d’assouvir sa passion dévorante. (photo Olivier Odiet)