Actualités, Portraits

Danseuse à l’aise sur tous les terrains

Edition N°16 – 27 avril 2022

Simone et son Willy. (photo ldd)

Le septième épisode de notre série consacrée à des personnalités de 65 ans et plus est dédié à Simone Zimmermann, qui a tourné dans le monde entier en tant que danseuse classique et acrobatique avant de s’installer à Moutier, il y a soixante-sept ans.     

Y a-t-il une vie après la retraite ? Si quelqu’un peut répondre par un grand OUI, c’est bien Simone Zimmermann. Danseuse classique et acrobatique elle a tourné dans le monde entier, avant de prendre sa retraite professionnelle à l’âge de 30 ans, il y a soixante-sept ans déjà (!), pour venir vivre à Moutier. Par amour.

« Je ne pensais qu’à la danse et aux voyages » 

Née le 22 février 1925, Simone a passé une grande partie de son enfance et de son adolescence à Paris, où, suivant les traces de sa grande sœur Solange, petit rat à l’Opéra (l’expression petits rats désigne les jeunes élèves de l’école de danse de l’Opéra de Paris qui forme les futurs danseurs du Ballet de l’Opéra national de Paris), elle devient danseuse. Mais contrairement à sa sœur aînée, Simone ne rêve que de voyages et elle refuse d’entrer au Ballet de l’Opéra pour enchaîner une longue série de tournées à travers toute la France, l’Europe et l’Afrique du Nord. Elle en garde des souvenirs lumineux. En 1950, en tournée avec le Théâtre Municipal de Lausanne, elle rencontre Willy, un jeune barbu, typographe, passionné d’art, de poésie et de sports en montagne. « Si je me marie un jour, ce sera avec toi », lui déclare-t-il. « A l’époque, je ne m’intéressais pas du tout aux garçons », confie Simone. « Je ne pensais qu’à la danse et aux voyages. » Elle est d’ailleurs sur le point de repartir à Paris pour une saison au Théâtre de l’Etoile. Willy, lui, est en partance pour le Danemark. Ils se promettent de s’écrire. Simone lui donne l’adresse de sa famille qui vient de déménager à Toulon suite à la mort prématurée de son père.

L’Argentine et la danse acrobatique

Ancien pilote de guerre, (il a côtoyé Antoine de Saint Exupéry), son père avait été gazé durant la Première Guerre mondiale, et en avait gardé de lourdes séquelles. Après sa mort, sa veuve et ses cinq enfants s’installent d’abord à Toulon avant d’émigrer en Argentine.

A Buenos Aires, Simone apprend très vite l’espagnol et retrouve du travail dans une troupe. « Je voulais danser et voyager ». Elle parcourt ainsi l’Argentine, l’Uruguay et le Brésil. Le hasard la fait rencontrer une troupe de danseurs acrobatiques et elle monte un numéro de main à main (duo de force et d’équilibre enchaînant des figures graphiques très gracieuses). Elle est sur le point de se marier avec son partenaire de danse. Mais le destin en avait décidé autrement… Sa sœur Solange, qui retourne à Toulon quatre ans après leur départ, revient à Buenos Aires avec une pile de lettres de Willy qui n’avait pas cessé d’écrire à sa danseuse. Bouleversée, Simone lui répond aussitôt. « J’ai su que ma vie était en Suisse, près de lui. » Elle joue une dernière polonaise de Chopin au piano pour sa mère avant de quitter définitivement Buenos Aires et sa vie de danseuse. « J’ai eu le courage de tout abandonner sans savoir ce qui m’attendait », confie-t-elle.

Un chalet à Moutier

Elle traverse l’Atlantique, à bord du Castel Bianco qui manque de couler dans le Détroit de Gibraltar. Mais elle arrive saine et sauve à Gênes où son Willy l’attend. C’est en plein hiver. Simone est emmitouflée dans un manteau de fourrure et porte un chapeau à voilette. Willy est en pantalons golf en velours côtelé avec de grosses chaussettes en laine tricotées à la main. « Il roulait les r. J’avais complétement oublié. » Il faut tout le voyage en train jusqu’à Moutier pour se réapprivoiser. Et là, nouveau choc : « On arrive à la gare. C’était si petit ! » Départ en taxi direction Les chalets nègres à Sous-Raimeux, au chalet Elisabeth où vivent ses futurs beaux-parents. Au portail du jardin, la mère de Willy l’attend avec un setter irlandais particulièrement féroce. Mais tout de suite il lui lèche la main. « Tu as trouvé une gentille femme, parce que le chien l’aime déjà », lui dit sa mère. Quant au père de Willy, il l’accueille d’un « Bonjour ma fille, mets-toi à ton aise, tu es ici chez toi ». Tant d’émotions, tant de gentillesse. Simone éclate en sanglots. « Cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps ! »

Troquer ses chaussons de danse pour des souliers de montagne

Aujourd’hui, c’est depuis soixante-sept ans qu’elle vit dans ce même chalet. « J’ai troqué mes chaussons de danse pour des chaussures de montagne », sourie-t-elle. Avec Willy, elle s’est mise à la varappe, au ski et à la peau de phoque. Avec sa belle-mère, elle a appris à jardiner et à cuisiner. Le jeune couple devient rapidement parents de deux enfants et mène une vie sociale bien remplie, entre montagne, beaux-arts et engagement politique, notamment avec Amnesty International. Le bonheur. Jusqu’au 21 mars 2006. Ce jour-là Willy part comme tous les jours tôt le matin pour promener le chien. Mais, terrassé par un AVC, à quelques pas du chalet, il ne rentrera plus jamais à la maison. Un choc terrible pour Simone et ses enfants.

Apprendre à vivre seule

Et c’est une nouvelle vie, en solo, que Simone doit apprendre à apprivoiser. Très dynamique, elle fait de la gym (à plus de 80 ans elle faisait encore le grand écart !) voyage, fais ses courses… jusqu’en 2020. « Et puis, la pandémie a coupé ma vie sociale. » Bien entourée par ses enfants et ses petits-enfants, encore très active (elle tricote, lis beaucoup, fait des scrabbles toute seule et des mots croisés, s’occupe des alentours du chalet…) elle a toujours la bougeotte et regrette de ne plus pouvoir partir seule. Mais s’il y a une chose à laquelle elle tient mordicus, c’est de pouvoir rester dans son cher chalet là où elle a vécu tant de jours heureux avec son Willy et ses enfants.

Claudine Assad

 

Simone et son Willy. (photo ldd)