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Lynx : le fantôme des bois

Edition N°44 - 1er décembre 2021

La Semaine innove avec la présentation d’un film à découvrir dans les salles de la région. Lynx ouvre les feux de cette nouvelle rubrique cinéma proposée deux fois par mois. 

Imaginez-vous en train de vous promener dans une épaisse forêt du massif jurassien. Vous avancez d’un bon pas en dévorant des yeux le splendide tableau naturel qui s’offre à vous. L’odeur des pins vient bercer votre odorat tandis que le chant lointain d’un oiseau régale vos oreilles. Tout semble parfaitement calme. Vous profitez pleinement de ce bref instant de solitude dans un monde souvent trop agité. Mais détrompez-vous : vous êtes peut-être observé. Parfaitement camouflé dans la végétation grâce à sa robe brune tachée de noir, le maître des lieux vous scrute de ses yeux perçants. Ses oreilles terminées par des pinceaux noirs avaient décelé votre présence il y a déjà plusieurs minutes. Vous l’ignorez, mais vous vous promenez dans le vaste territoire d’un redoutable chasseur. Pourrait-il vous attaquer ? Aucune chance ! Sans même que vous n’ayez remarqué que vous n’êtes pas seul dans les bois, le mystérieux guetteur s’en est déjà allé, bien trop timide pour rester plus longtemps en votre présence. Sans même le savoir, vous étiez honoré de la présence du fameux Fantôme des bois : le lynx boréal.

Réussir l’impossible

Réintroduit sous nos latitudes il y a cinquante ans, le lynx est aujourd’hui bel et bien le maître incontesté de la forêt. Ce gros chat a beau ressembler à nos compagnons félins, il n’en demeure pas moins être un redoutable chasseur parfaitement équipé pour la chasse et les rudesses saisonnières. Mais autant le gros matou est un vrai bijou de la nature, autant il représente un véritable casse-tête à observer. Un défi de taille relevé à maintes reprises par Laurent Geslin. Résidant dans un petit village dans le Jura, ce mordu de la nature a développé une véritable passion pour le lynx, à un point où il lui a même dédié un livre. Mais à défaut de chasser le mystérieux prédateur avec un fusil, il s’arme de son appareil photo et attend, patiemment. Fort de son expérience auprès de grands noms tels que National Geographic, Laurent Geslin n’est pas un manche. Le lynx ne sera que l’affaire de quelques mois, pensait-il. Grave erreur : le félin ne se présentera devant l’objectif que quand cela lui chantera, quitte à faire patienter le photographe professionnel durant huit mois sans rien se mettre sous la dent. On ne sera alors guère étonné d’apprendre qu’il aura fallu près de six ans à Laurent Geslin pour réunir les images nécessaires à la réalisation de son film simplement intitulé « Lynx ». Pour le spectateur, ce travail de titan se dégustera en un peu plus d’une heure. Résultat des courses : un triomphe absolu.

La nature ou poésie infinie

Histoire de le préciser, Laurent Geslin n’est pas un réalisateur, ni un scénariste, ni même un narrateur. Pourtant, le photographe revêt pour la première fois les trois casquettes pour nous conter l’histoire d’une famille de lynx, composée d’un mâle solitaire, d’une femelle attentionnée et de ses trois petits qui feraient fondre les cœurs des plus endurcis. En à peine une minute, le film nous prend par les émotions en nous mettant nez à nez avec l’implacable félin. Celui que l’on ne voit jamais. Le fameux Fantôme de la forêt est bien là, devant nos yeux. Perché sur une corniche, il pousse un étrange cri, bien plus proche de celui d’un humain que d’un fauve. La manœuvre a pour but d’attirer une femelle dans son gigantesque territoire. Vous l’aurez deviné, les efforts porteront leurs fruits et entraîneront un déferlement de poésie, d’humour et de drame auquel le spectateur n’est pas préparé. Avec « Lynx », Laurent Geslin réussit l’incroyable exploit de nous présenter le cycle de vie de l’un des animaux les plus discrets d’Europe. Le premier documentaire entièrement dédié au dit prédateur. La femelle chasse, nourrit les petits qui se mettent à explorer leur environnement puis à devenir eux-mêmes d’implacables machines à tuer. Le parcours de vie est jalonné de moments de tendresse ou de pure tristesse, souvent due à l’Homme, qu’il ait de bonnes ou de mauvaises intentions.

Lorsque la caméra du réalisateur n’est pas focalisée sur les félins aux oreilles pointues, elle s’attarde sur la faune riche qui peuple nos forêts. Chamois, faucons pèlerins, cerfs, renards, sangliers, chacun vient enrichir le film à sa manière, apportant son lot de séquences mémorables pouvant même déclencher l’hilarité. A l’image d’une famille de chouettes observant timidement les alentours de leur nid aux travers de petits trous, ou encore du renard qui, grâce à un astucieux montage, ne sait plus où donner de la tête face à une hermine qui s’amuse au jeu de la taupe. Ici, Laurent Geslin ne nous fait pas une énième proposition de film scientifique aux mille informations. Ici, il nous lit à voix haute un véritable conte, utilisant avec brio l’art du montage et de la musique. Tout est magie, tout est merveilleux, à en oublier que tout se déroule près de chez nous, dans les montagnes jurassiennes jusqu’au Creux du Van. Une magnifique ode à la nature rendant le plus beau des hommages au plus mystérieux des félins. On en ressort avec les yeux humides, ému par l’incroyable combat quotidien du lynx. Le cœur réjoui par le triomphe animal. Une seule envie : retourner dans les bois, retourner dans la présence indétectable du Fantôme de la forêt.

Louis Bögli

Lynx

Réalisation : Laurent Geslin

Durée : 82 minutes

Pays : Suisse / France

Note : 5/5

 

3 questions à …

Daniel Chaignat,
Président de la coopérative
Cinematographe-Royal

Avez-vous remarqué un certain intérêt
du public régional pour le documentaire animalier ?

Nous avons un bon répondant actuellement. Ces documentaires sont presque ce qui marche le mieux chez nous, qu’il s’agisse du film « Lynx » ou « Le cheval de chez nous ». Ce sont des films à succès. Avec « Lynx », nous avons déjà enregistré plus de 180 entrées.

Comment peut-on expliquer cet intérêt ?

C’est un peu le principe du retour à la nature, du retour à la vie sauvage. Un genre d’imaginaire de la vie idéale du monde animal. Cela va dans le sens des tendances actuelles, à savoir l’écologie, la vie proche de la nature. Et lorsqu’on prend dans ce cas précis le lynx, qui vit très près de chez nous, les gens aiment venir voir, surtout quand le film est aussi bon.

La régionalisation du film participe-t-elle à son succès ?

Les gens aiment bien s’identifier au film, surtout quand ce dernier met en avant des personnes ou des paysages qu’ils connaissent ou si l’œuvre identifie la région avec un élément positif. Le lynx dans le Jura, c’est positif. Si on était par exemple dans le Valais, ça ne serait peut-être pas tout à fait la même chose. Mais si on a une relation avec ce monde animal qui est très positive, les gens sont fiers de leur région.

(lb)

« Lynx », à découvrir dans les cinémas de la région.