Le film de Bertrand Theubet (réalisateur) et de Jean-Marc Gindraux (producteur), «Les Héros du tour» projeté en salle en ce moment, révèle non seulement le savoir-faire prévôtois dans le domaine des machines-outils, mais aussi le lien indéfectible de six potes unis d’une même passion : la mécanique de précision autour des tours.
Jean Simon, personne ne le connaît. Pourtant, c’est lui qui, à l’instar des mécanos Essaime (Tavannes) et Gauthier (Calmbach/Allemagne), a osé défier les grands fabricants bien connus de l’époque : les entreprises Baechler, Tornos ou Pétermann. Seul, dans son petit atelier prévôtois, il a mis au point une machine capable de rivaliser les tours les plus rapides du moment. Non seulement parce que son produit tournait des pièces aussi vite (5000 tours par minute à 2 chevaux de puissance), mais aussi et surtout, car sa fameuse machine était dotée d’une poupée mobile. La poupée : c’est le bloc muni d’outils de coupe tournoyants, qui fait face aux pièces pour les usiner avec des mouvements de va-et-vient. Elle est mobile car elle se déplace sur son axe, d’où davantage de pièces produites.
Les munitions de 1940
Cependant, Jean Simon n’était pas génial que pour cela, mais du fait d’avoir pu fabriquer de A à Z son tour, devenu automatique, pour produire des pièces d’horlogerie et d’appareillages en acier ou en laiton. «Mais pas seulement. En pleine guerre mondiale, en 1940, il fallait aussi fabriquer des munitions, comme des douilles», souligne Walter Hürlimann, l’un des six «Héros du tour». Après quatre-vingts ans de progrès techniques, les tours se sont davantage automatisés, avec des mouvements d’outils plus amples dans tous les sens (axes) possibles et imaginables.
De nos jours, ces décolleteuses n’usinent plus forcément des munitions, mais des pièces si minuscules qu’on peine à les distinguer à l’œil nu.
Cent heures de travail par machine
Au frais dans leur «caverne d’Ali Baba», du Forum de l’Arc – au sous-sol de l’ex-Centre Professionnel Tornos CPT) – les «Héros du tour» ne s’ennuient pas. En quatre ans, ils ont déjà pu retaper une quarantaine de machines exposées au «Musée du tour» d’en face. Non seulement ils les nettoient et les ripolinent, mais les remontent à l’identique. Et ces tours sont en parfait état de marche ! Un savoir-faire très rare de nos jours qui met en valeur le métier de gratteur de coulisses (une lame au bout d’une tige tenue à bras le corps avec force). «C’est rare qu’on doive gratter, mais c’est quand même un sacré boulot», reconnaît Jean Louis Schlup, le héros mécanicien de précision polyvalent. Chaque machine rénovée nécessite une centaine d’heures. Vous n’en n’avez pas marre ? «Oh que non ! Quand on aime, on ne compte pas», considère Jürg Kummer, l’ingénieur des héros. Cependant, il faut aussi des muscles pour soulever ces tours qui pèsent des centaines de kilos. «Oh, mais pas que ! Il faut aussi comprendre les plans qu’on a retrouvés sur microfilm», relève Michel Jobin, le dessinateur-archiviste.
Des douilles de guerre, aux connecteurs électroniques, en passant par des mini pignons de montres ou des micro-antennes de nos smartphones, il s’est passé une sacrée évolution dans la fabrication de ces milliards de pièces. Ne regrettez-vous pas la belle époque ? «Un peu, mais on s’accoutume aussi à l’évolution technologique», soulignent les six héros. D’ailleurs, ils ne vont pas chômer, car ils reçoivent constamment de nouvelles machines à retaper en provenance d’entreprises des quatre coins de Suisse (et du monde) qui les utilisent encore (oui, ça arrive!) ou les stockent dans leur cave.
Pas si ringard, les tours
Tous en retraite, les «Héros du tour» souhaitent avoir des locaux plus adaptés afin de mieux s’organiser. Faute de place également, le «Musée du tour» ne peut plus accueillir de machines supplémentaires (question de poids). Mais le film de Bertrand Theubet suscite aussi de l’intérêt de la part des jeunes. Dans une séquence, on les voit captivés par ces héros et leur savoir-faire. De quoi susciter également leur passion? La probabilité est grande…
Roland J. Keller
Ça vaut le dé… tour !
Le film «Les héros du tour» est projeté ce mercredi 19 jusqu’au 24 août au Cinoche de Moutier, puis le 28 août au Cinématographe de Tramelan, le 8 septembre au Palace de Bévilard et le 7 octobre au Cinémajoie de Porrentruy
(rke)