Petite touche surréaliste qui colle à l’époque que nous vivons.
«J’étais autrefois bien nerveux. Me voici sur une nouvelle voie: je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité!» Henri Michaux.
A l’heure où j’écris ces lignes, nous serions dans l’effervescence du Festival des Petites Oreilles à Moutier. Ce festival se déroule toujours pendant les vacances de Pâques et réunit petits et grands dans un joyeux moment. Cette période me tient particulièrement à cœur dans ce partage d’art vivant avec les enfants et je mesure son manque aujourd’hui. Cette fête permet aux bambins de découvrir par des spectacles et ateliers: du théâtre, de la chanson, du cirque ou de la danse… Ce sont des instants magiques à vivre en famille avec ses parents, ses grands-parents, un parrain ou une marraine, un oncle ou une tante, des cousins, des amis, des voisins… Et c’est là qu’on mesure l’importance de ce lien social que créent ces spectacles partagés en vrai avec du public sur les gradins et avec des artistes sur la scène. Ces évènements vécus ensemble qui laissent des traces et des souvenirs gravés dans notre mémoire collective. Cette union entre artistes et public qui ne sont rien l’un sans l’autre. Cette communion d’un moment, exceptionnel ou pas, qui se vit dans l’instant présent. Aujourd’hui, on découvre le vide qu’aucune expérience virtuelle ne pourra combler! Il y a un manque d’émotions partagées. Au lieu de ça, la solitude, l’incertitude et le temps sont là. Et je relis «Lettres à un jeune poète» de Rainer-Maria Rilke. «Il est bon d’être seul parce que la solitude est difficile. (…) Etre artiste, c’est ne pas compter, c’est croître comme l’arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents de printemps, sans craindre que l’été puisse ne pas venir. L’été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s’ils avaient l’éternité devant eux. Je l’apprends tous les jours au prix de souffrances que je bénis: patience est tout. (…) Ne voyez-vous donc pas que tout ce qui arrive est toujours un commencement?»
«Remplissons nos oreilles du chant des oiseaux»
En 2019, le Centre Culturel de la Prévôté fêtait 50 ans de culture à Moutier. Une année pour se souvenir du passé, pour fêter le présent et se tourner vers l’avenir. Réfléchir à la place que les jeunes s’approprieront dans la culture de demain? La réflexion se poursuit en 2020 par ces quelques mois de vide culturel. Nous vivons le manque et l’absence d’évènements artistiques. C’est un métier social en contact avec des personnes: collègues, comité, bénévoles, artistes et surtout spectateurs… Nous nous questionnons sur la place que la culture occupe dans notre vie. Nous soutenons des artistes qui se trouvent sans engagements, pour certains avec des créations en cours, arrêtés net. Des contrats avec des compagnies venant de l’étranger difficile à reprogrammer. Des artistes se trouvant dans des situations de précarité dans un métier où l’on programme sur le long terme avec l’inconnue d’une date de reprise des activités culturelles. Qu’aurions-nous besoin dans le futur? De distraction, de comédie, de chansons…sans doute pour oublier, pour l’humour et la thérapie du rire. Mais je pense que la réflexion et la création propres aux artistes seront plus que nécessaires pour bâtir un futur. Et pour l’instant, ils y travaillent chacun au profond de la solitude dont ils se nourrissent. Je me réjouis de les retrouver et de partager ces instants de grâce suspendus avec vous, cher public. D’ici là rechargeons-nous de nature dont nous avons la chance d’être entourés, où nous pouvons construire nos rêveries solitaires dans la contemplation. Remplissons nos oreilles du chant des oiseaux qui sont revenus et espérons pouvoir rouvrir la porte des expositions comme celle de Jean-René Moeschler. Ses tableaux vous attendent aux cimaises de la Galerie du Passage et du Musée Jurassien des Arts. Certains portent le titre «Où sont les oiseaux?» Car les arts plastiques dorment aussi avec un peu de notre âme.