Portraits

Un fondeur d’art insatiable

Edition N°3 – 27 janvier 2021

Du haut de ses trois quarts de siècle, Jean-Pierre Monnier ne semble jamais vouloir s’arrêter de bosser. Toute sa vie, il l’a passée dans les univers aux odeurs fortes des fonderies. Bronze, aluminium, acier ou autres n’ont plus de secrets pour lui et il croule toujours sous le boulot. C’est que les fonderies d’art, comme la sienne, ne sont pas légion en Suisse, puisqu’on en compte à peine une dizaine. Il s’est fait une solide réputation, surtout dans le coulage du bronze qui demande patience et savoir-faire. Il met sa passion et son professionnalisme au service des sculpteurs. 

Originaire d’Héricourt, en Haute-Saône, Jean-Pierre Monnier, né en 1946, fait son apprentissage (CAP) dans une fonderie d’acier qu’il considère comme une formation idéale, parfaite. Son parcours, dès 1967, l’amènera en Suisse : Genève, Lausanne ou Fribourg dans des fonderies industrielles ou d’art qui lui permettront de parfaire ses compétences. Il deviendra rapidement un contremaître performant. En 1968, il épouse Nicole avec qui il aura quatre enfants. Prévôtois d’adoption, il garde toujours ce petit accent chantant franc-comtois.

La fonderie de Moutier

Vers l’an 1983, il apprend que la fonderie Käslin de Moutier, reprise par
M. Seilaz est à vendre. Il s’y intéresse et en devient le chef de fabrication. Mais les choses ne sont pas évidentes et il est remercié. C’est alors qu’il reprend à son compte un atelier de la rue de la Paix qu’il exploite encore actuellement, en se spécialisant dans la fonderie d’art, notamment dans le coulage du bronze en mettant toute sa passion et son professionnalisme au service des sculpteurs. La puissance du bronze en fusion, les subtilités de la préparation et les détails de la finition d’une sculpture en font un spécialiste recherché et largement connu. 

Un travail long et minutieux

Les possibilités de fabrication du bronze d’art sont pratiquement illimitées. L’éventail des objets coulés en métal ou en métal précieux va de la miniature au monument imposant, de la surface archaïque à la surface finement ciselée ou polie miroir. Selon leur forme et leur taille, les sculptures sont coulées suivant divers procédés. Jusqu’à vingt opérations différentes sont nécessaires entre le modèle d’origine et l’œuvre d’art en bronze. La technique de la fonte à cire perdue permet de fabriquer des sculptures en bronze à partir d’une œuvre dont on réalise une épreuve originale, un positif, réalisé en général par un artiste ou un sculpteur qui peut être en cire, en bois, en pierre, plâtre, céramique, polystyrène, ou encore en terre. On fabrique un moule souple souvent réalisé en élastomère (on appelle cela un négatif), qui est recouvert d’une fine couche de cire par estampage qui donnera l’épaisseur de métal. La cire est recouverte d’un mortier de type réfractaire pour former le moule de fonderie. Le bronze doit être creux pour éviter qu’il ne soit trop lourd et surtout trop cher, donc il est inutile qu’il soit plein. Cette étape est cruciale car la sculpture en bronze doit présenter une épaisseur constante, pour éviter les déformations et les « crevasses » lors du refroidissement. C’est alors la phase la plus spectaculaire du travail du fondeur. Le bronze en fusion (1000°C) se coule à l’endroit où était la cire que l’on a fait fondre. Il refroidit de 100°C à la minute et la manœuvre doit être exécutée très rapidement. Le sujet devient alors positif. Lorsque le métal en fusion est redevenu solide par refroidissement lent et homogène, la coque en mortier réfractaire est ensuite brisée pour mettre à jour l’objet brut. Restent à ce stade des opérations de finition comme l’ébarbage, la ciselure, le polissage, le ponçage et la patine pour apporter l’éclat et la finesse à l’objet. Pour les grandes pièces, on détaille des segments d’environ 60 cm qui sont ensuite assemblés. 

Travailler avec les artistes

Chaque sculpteur a sa personnalité, ses émotions, son langage ou ses techniques. Il faut essayer de les comprendre, de les ressentir pour donner à la sculpture finalisée toute la vérité que l’artiste lui a donnée, et chaque pièce sera ainsi unique. Jean-Pierre Monnier ne compte plus les œuvres qu’il a réalisées, des milliers, pour moult occasions. Actuellement, il est par exemple en train de finaliser des baigneuses nues qui trôneront autour d’une piscine pour un client qui désire rester anonyme. Il travaille pour de nombreux artistes venant de partout. Mais dans la région, son plus gros client, qui voudrait bien qu’il ne travaille que pour lui, c’est le taxidermiste Christian Schneiter, qui a une production énorme, comme un projet pour le restauroute de Martigny avec une représentation de chien St-Bernard avec son petit de 1,85 m de haut. Il a aussi réalisé les pointes des hallebardes des gardes suisses du pape, dessinées par Umberto Maggioni, ou des éléments pour les lampes de Stève Léchot. On se souvient aussi de l’énorme sculpture de Logovarda, dont nous avions parlé dans nos colonnes, et réalisée dans les locaux d’Enzo Dell’Anna qui avait dû être transportée par hélicoptère. Elle est visible à l’hôpital de Porrentruy.

Et l’avenir ?

« Je compte bien travailler au moins jusqu’à 80 ans. Pour l’avenir de l’entreprise, j’ai un associé, Stéphane Hamel. A lui de voir s’il désire ensuite assurer la pérennité de la fonderie d’art. Avec le boulot abondant qui se dessine, l’avenir de la boîte est assuré pour un bon moment. D’ailleurs, avec le nombre d’opérations que demande ce travail, il faut prévoir des délais », précise-t-il. Il accueille également une jeune stagiaire, Cosette Faivre, une étudiante de l’école d’Arts. C’est vrai qu’avec ses compétences et ses nombreux domaines d’application, il peut envisager l’avenir sereinement, du haut de ses trois quarts de siècle ! 

Claude Gigandet